Géométrie : Des évolutions d’approches et d’usages
Trois géométries
On peut s’appuyer tout d’abord sur les 3 géométries [Roland Charnay – 2013] : la géométrie de la perception, la géométrie instrumentée et la géométrie déductive.
1) La géométrie de la perception
Cette géométrie commence dès le cycle 1.
Dans cette géométrie, est vrai ce qui est vu ou ressenti comme tel : un carré, un rectangle.
Le carré correspondra par exemple au contour d’un morceau de carrelage ou de vitrage. On pourra donc le dessiner à main levée (très imprécis) ou à l’aide d’outils (pas nécessairement typés mathématiques : une feuille en guise de règle, un morceau de bois).
Cette géométrie perceptive est essentielle car elle sera une clé non négligeable en géométrie instrumentée et en géométrie déductive.
Dans cet esprit, il sera important dès que cela sera possible de différencier des notions sources de confusions : perpendiculaire/verticale, le carré (posé sur un côté) devient-il un losange (lorsqu’il sur un sommet) ? Plus tard, on devra prêter une attention particulière à de faux contraires (parallèle/perpendiculaire) ou des subtilités dans des négations (il n’y a pas 1 point commun donc il y en a 0 … ou plusieurs).
Avoir à l’esprit ces difficultés qui interviendront généralement en cycle 3 ou plus souvent en cycle 4 permet de penser la perception au regard des attendus futurs.
2) La géométrie instrumentée
Cette approche de la géométrie commence au cycle 2.
Est vraie une propriété vérifiée par un instrument. La perception donne l’idée, l’instrument vérifie cette idée.
Deux extraits de l’introduction du manuel « Travaux géométrique en 6ème » de A.Kuzniak et C.Taveau. [2005 – 2006] peuvent être éclairant :
« En ce qui concerne l’enseignement de la géométrie, les programmes de 6ème ont été mis en cohérence avec les programmes du cycle 3 de l’école élémentaire. La continuité se met en place autour des objets étudiés qui restent inchangés, mais c’est le rapport à ces objets qui évolue et qui provoque une rupture de contrat.
L’enseignant de 6è va devoir assurer le passage d’une vision de la géométrie expérimentale à la géométrie de démonstration qui sera à la base de l’enseignement des mathématiques dans les classes suivantes du second degré »
« L’enseignement de la géométrie en classe de sixième constitue donc une charnière entre celui d’une géométrie surtout perceptive, dans les classes antérieures et celui d’une géométrie déductive où la démonstration joue un rôle essentiel, dans la suite du cursus scolaire. Il s’agit donc, entre autres, de favoriser progressivement l’accès à la compréhension d’une des activités spécifiques des mathématiques que constitue la démonstration ».
Cet extrait ne parle pas de la géométrie instrumentée en tant que telle. Une hypothèse, un questionnement : peut-être y a-t-il un déficit de l’approche instrumentée en cycle 3 ? Si telle était le cas, il serait important d’insister sur cet aspect en 6e (ou d’insister sur ce point dans le cadre d’une liaison école-collège) afin d’amener les élèves à aborder plus sereinement la géométrie déductive attendue ensuite en cycle 4. Même si, comme on le verra plus loin, cette géométrie instrumentée sera moins prégnante que la géométrie perceptive par la suite.
3) La géométrie déductive
On l’aborde au collège. Des prémices sont posées dès la fin du cycle 3 pour être complétées et généralisées en cycle 4.
Dans cette géométrie, est vrai ce qui est démontré. Dans cette première vision de la géométrie déductive, la démonstration prendra très souvent appui sur une figure géométrique tracée.
Dans beaucoup de situations, l’idée de chercher à démontrer une propriété viendra de l’observation d’une figure précise :
· ABCD ressemble à un losange (géométrie perceptive)
· En mesurant, il semble bien que les côtés soient de la même longueur (géométrie instrumentée)
· Quelles informations vont permettre de confirmer/prouver cette supposition ? (géométrie déductive)
Les 3 géométries cohabitent et permettent de structurer le raisonnement. Le travail en classe doit donc permettre à chaque élève d’avoir accès à ces trois phases.
Dans cette approche, le raisonnement prend appui sur différentes étapes de modélisation des objets mathématiques. Un point essentiel sera le lien entre la modélisation et le raisonnement associé.
Cette modélisation va permettre de concevoir les objets mathématiques de façon conceptuelle. Cette conceptualisation est de plus en plus poussée au fil des années. Dans le cadre des cycles 1 à 4, elle reste appuyée sur le support dessiné. Ce support dessiné pourra s’estomper jusqu’à disparaitre parfois en lycée et après.
Ce support change de statut au fil des cycles. Un exemple : le dessin à main levée.
· En cycle 1, il ne suffira généralement pas : on cherche surtout à amener les élèves à produire quelque chose de ressemblant. L’œil est au service du tracé pour le valider ou pas.
· En cycle 2, une motricité plus fine commence à être acquise et de petites figures suivant un quadrillage par exemple permettent d’avoir des carrés « raisonnablement » carrés !
· En cycle 3, un tracé suffisamment précis permet les premières figures « à main levée » à partir d’un énoncé.
Les instruments permettront de vérifier que le tracé est convenable.
· En cycle 4, on doit amener les élèves à avoir assez de recul pour concevoir une démonstration à partir d’un dessin à main levée (géométrie perceptive). En cas de besoin, une figure plus précise (géométrie instrumentée) permettra de confirmer la perception. L’attendu sera cependant d’utiliser cette perception pour conceptualiser une preuve.
De plus en plus souvent, la figure à main levée sera le support privilégié pour donner l’idée et donc amener la démonstration.
Davantage de géométries ?
1) En guise d’introduction
Il semble qu’on puisse aller au-delà. Il s’agit alors de mesurer les approches, et donc les enjeux, après le collège. Pour autant, cela impacte les façons d’aborder ces notions en collège.
Dans le cadre de la géométrie de la perception, on entre dans la dialectique objet/outil [Régine Douady – 1984] : « c ’est un processus cyclique organisant les rôles respectifs de l’enseignant et des élèves, au cours duquel les concepts mathématiques jouent alternativement le rôle d’outil pour résoudre un problème et d’objet prenant place dans la construction d’un savoir organisé. »
Le dessin-carré-objet du cycle 1 devient un dessin-carré-outil en cycle 4. Le rôle d’outil sera celui d’outil-initiateur à l’entrée dans la preuve.
Le carré passe de support d’apprentissage (géométrie perceptive), à support de compréhension (géométrie instrumentée) puis à support de conceptualisation (géométrie déductive).
2) Vers le lycée et au-delà…
La géométrie menée après le collège va apporter son lot de nouveautés : géométrie analytique, géométrie vectorielle, et on peut aller jusqu’à la topologie ou la géométrie non euclidienne qui invitent à repenser le rapport entre l’espace physique (au moins l’espace physique perçu) et la géométrie.
Si on prend la géométrie analytique, on retrouvera une dialectique outil/objet : l’objet géométrique aura servi de support à l’utilisation de la lettre comme objet d’étude permettant une généralisation (formules, fonctions). La lettre est l’outil de l’étude. En géométrie analytique, cette lettre devient un outil.
Cet outil servira d’ailleurs aussi en géométrie vectorielle.
La topologie quant à elle est présente de façon induite dans la géométrie dans l’espace de collège : pourquoi étudie-t-on dans les mêmes temps prisme et cylindre ou pyramide et cône ?
Par exemple, dans un message d’information-publicitaire, Veolia indique la quantité d’eau potable fournie chaque année correspond à 2,5 cm de neige sur toute la France :
Calculer le volume associé nécessite de repenser totalement la notion de cylindre telle qu’elle est introduite en collège. Pour autant, le calcul est accessible à des élèves en cycle 4.
On va donc ancrer en cycle 4 des prémices qui interviendront plus spécifiquement en géométrie analytique et vectorielle d’une part et même en topologie.
De la même façon, une propriété telle que « si deux droites sont parallèles, toute droite perpendiculaire à l’une est perpendiculaire à l’autre » mérite des nuances de type plan/espace dès le collège. La salle de classe peut servir de support à un contre-exemple de type géométrie perceptive ! On va donc là encore ancrer une approche critique d’une forme d’axiomatique qui permettra de mieux aborder une géométrie non euclidienne plus tard.
La géométrie déductive se décline donc elle-aussi finalement en termes objet/outil. Les supports géométriques classiques (dessinés) du collège s’effacent peu à peu au profit d’une conceptualisation accrue.
Dans l'approche des fonctions par exemple, celles-ci sont d'abord un outil avant d'être un objet (objet d'étude : la fonction pour elle-même --> continue ? dérivable ? ...). De même les
nombres sont un outil (comptines et fabulettes dès le cycle 1 ; comptage de nuages d'objets ; ...) avant d'être un objet d'étude (essentiellement à partir de la construction des
ensembles de nombres en lycée, même si on titille un peu le côté objet en collège avec les nombres premiers mais cela reste 'au service de ...').
Pour la géométrie, ce qui peut être perturbant (pour l'enseignant comme pour l'élève), c'est que les différentes géométries sont abordées comme objet avant de l'être comme outil. Cela va à
l'encontre des autres notions en mathématiques, mais aussi de ce qui peut être fait en français par exemple (la grammaire n'est pas un préalable à l'usage de la langue).
Des enjeux importants dans les liens avec grandeurs et mesures et le calcul numérique et littéral seraient aussi à mettre en évidence.
Janvier 2018